A l’attention de la cellule Agriculture urbaine de Bruxelles Economie Emploi, et du cabinet Maron-Trachte (Juin 2023)
Suite à l’appel à projet Agriculture Urbaine du printemps 2023, la FedeAU a reçu de nombreuses réactions de ses membres concernant le contenu du dossier à rendre. Alors que cette problématique avait déjà été soulevée lors des éditions précédentes de l’appel à projet, nous nous étonnons de voir qu’une simplification n’a pas été mise en place, et même que le dossier se soit davantage complexifié. Nous voudrions vous faire part des feedbacks de terrain reçus, afin, nous l’espérons, que des ajustements puissent être effectués pour les prochaines éditions de l’AAP.
Bien que cette lettre transmette principalement des feedbacks sur des éléments qui questionnent, ou à améliorer selon nous, nous souhaitons commencer par vous remercier pour votre soutien apporté à ce secteur, qui comme partout en Europe, ne pourrait exister sans l’appui régional dont il bénéficie.
- La longueur et la complexité du dossier de candidature
Tout d’abord, les professionnel.le.s de l’agriculture urbaine nous ont fait part de leur étonnement et frustration de voir que, cette année encore, le questionnaire s’est complexifié, avec davantage de questions (perçues parfois comme redondantes) et une demande de détails accrue, nécessitant un travail supplémentaire très conséquent pour les candidats. La question de l’accessibilité d’un tel questionnaire pour des personnes n’ayant pas fait d’études supérieures est également posée.
« Le formulaire est très long, cela demande énormément de travail pour répondre à des précisions qui selon moi, pour beaucoup d’entre elles, ne sont pas très pertinentes pour la compréhension du projet présenté. »
L’exemple le plus frappant est le niveau de détails demandé pour le plan financier, qui a été vécu comme trop complexe et inadapté par rapport aux activités des porteurs de projet et leurs pratiques comptables (souvent simplifiées). Le remplir nécessite soit une expérience comptable sérieuse, soit un accompagnement professionnel qui demande du temps, de l’énergie et des moyens financiers. Cela peut également être excluant pour des projets plus jeunes n’étant pas en mesure d’avoir toutes ces informations. Le tableau comporte 21 onglets à remplir, chacun nécessitant un travail de recherche de données, d’anticipation/planification, de calculs,… qui est conséquent et pas toujours adapté pour des porteurs de projet qui travaillent avec le vivant, et n’ont donc que peu de mainmise sur les productions finales (ex : Détails des stocks, détail mensuel de la trésorerie sur 3 ans, détail trimestriel de la TVA sur 3 ans…).
Par ailleurs, le questionnaire en lui-même a frappé par sa longueur, avec plusieurs passages jugés redondants (ex : plusieurs questions relatives au public cible, la description de l’offre, l’innovation/différenciation, toute la section sur la viabilité financière qui est une redite par rapport à l’annexe « Plan financier » …). Cette redondance représente un travail supplémentaire non négligeable. D’autre part, certaines questions, telles que celles relatives à la stratégie de mise sur le marché, de marketing, de communication, ne sont pas adaptées à la majorité des acteur.rice.s du secteur, de part la taille de leurs projets et le contexte de la production alimentaire (secteur très différent des autres secteurs marchands).
Toutes les questions relatives à l’évaluation du marché et à la distinction par rapport aux autres projets d’AU ont été particulièrement interrogées : une étude approfondie de la « concurrence » n’est pas adaptée à la mentalité de la plupart des agriculteur.rice.s bruxellois.e.s, qui prônent davantage une logique de solidarité. D’autant plus qu’il n’est pas du tout évident de connaître les parts de marché ou la puissance financière d’autres agriculteur.rice.s. De plus, l’utilité pour les pouvoirs subsidiants de poser de telles questions n’est pas comprise par les répondants.
Enfin, une partie de nos membres expriment souvent leur malaise par rapport aux questions relatives à l’innovation que représente leur projet. Iels se demandent pourquoi ce dernier devrait être innovant par rapport à l’offre bruxelloise, alors qu’iels exercent un des plus vieux métiers du monde, qui est souvent effectué avec une volonté de simplicité.
Pour conclure, la pertinence de toutes ces informations demandées pour être en mesure d’évaluer si le projet mérite un soutien régional n’est pas toujours comprise par les acteur.rice.s de terrain, et la charge de travail que cela représente semble disproportionnée. Nous savons que dans le cadre de la SRTE, vous souhaitez aligner les questions entre les différents AAP. Toutefois, pour le bien des personnes répondant à ces AAP, il nous semble primordial que ces formulaires soient d’une longueur raisonnable, avec des questions plus ancrées dans les réalités du terrain.
- La pression ressentie quant à une multifonctionnalité contrainte, tout en devant être rentable
En remplissant ce questionnaire, certains membres de la FedeAU ont eu l’impression de devoir justifier leur projet sur une multiplicité d’angles très importante, parfois assez éloignée de la production alimentaire en tant que telle que cet AAP vise à soutenir (ex : question sur la co-construction avec les habitants, les changements du public cible grâce au nouveau projet, la réplicabilité du projet, …). Les sections relatives à l’impact environnemental et aux impacts sociaux sont très conséquentes. Elles contiennent également des questions sur lesquelles les répondants ne sont pas toujours en mesure de connaître les réponses (ex : connaître les externalités environnementales nécessiterait des études d’incidences ; comment connaître l’impact du projet sur la création d’emplois indirects ?,…).
Nous nous doutons que vous n’attendez pas forcément des projets qu’ils remplissent toutes les fonctions reflétées dans ces questions. Mais vu que les candidats doivent tout de même justifier comment leur projet y répondent ou non, et qu’iels savent que leur candidature est jugée à partir de l’intégralité de ces questions, ces dernières sont vécues comme une pression pour les porteurs de projet de devoir remplir « tous les rôles ».
« Concernant cet appel d’une manière générale, il nous est demandé d’être : productif, écologique, d’avoir un impact social, être inclusif, accessible économiquement, créateur d’emploi correctement rémunérés, innovant, d’avoir un effet levier, être réplicable … et d’y parvenir sans subsides (une fois la période subsidiée écoulée). Ce n’est pas réaliste. »
- Le timing de l’appel à projet
À cela s’ajoute le timing proposé pour répondre à l’AAP : initialement, il devait être lancé en janvier, avec fin mars pour date butoir. Toutefois, des complications administratives imprévues ont retardé son lancement. L’AAP a finalement pu être lancé le 10 mars, avec un délai de seulement 5 semaines pour y répondre. Le début du printemps étant souvent la période la plus intense pour les professionnel.le.s de l’AU travaillant en extérieur, ce timing a été très mal vécu par ces derniers. Demander de remettre un dossier si conséquent en plein début de saison, avec un délai si court pour y répondre, a mis une pression supplémentaire sur ces acteur.rice.s qui subissent déjà des horaires de travail très lourds. Ce timing renforce certainement un épuisement important des professionnel.le.s, dès le début de la saison.
Pour les prochaines éditions de l’appel à projet Agriculture Urbaine
Comme mentionné dans les paragraphes précédents, la FedeAU prône une simplification de l’AAP, en supprimant les questions potentiellement redondantes et en sélectionnant celles permettant d’identifier les éléments clés nécessaires au choix des lauréats. Ces questions doivent, selon nous, être également davantage envisagées sous le prisme de l’activité agricole petite surface, avec une comptabilité simplifiée, une logique non-concurrentielle entre agriculteur.rice.s, et des moyens limités pour connaître leurs impacts social, environnemental et économique. L’objectif premier (à savoir, de soutenir les activités agricoles productives) ne doit pas non plus être perdu de vue, comparé aux impacts sociaux, environnementaux et économiques (qui sont, de toute façon, indéniablement présents au sein des activités d’AU). Enfin, nous espérons que l’agenda du prochain AAP anticipera d’éventuels imprévus, permettant de garantir son lancement début janvier.
Deux pistes pour alléger le travail des candidats pourraient être :
- Un processus en deux temps, avec une note d’intention de quelques pages à remplir pour commencer, afin de présenter les grandes lignes de la candidature, avec un focus sur les points clés (résumé du projet, compétences techniques, phases d’opérationnalisation, clients cibles, évaluation globales des coûts du projet, financement du projet). Sur cette base, BEE pourra prendre contact avec le/la candidat.e pour pointer les éventuels éléments à approfondir/requestionner pour renforcer le dossier. BEE pourra aussi donner des indications sur l’adéquation ou non du projet avec l’appel à projets.
Dans un second temps, un dossier plus détaillé peut être rempli par les candidat.e.s, tout en maintenant une longueur de dossier raisonnable et allant à l’essentiel.
Ainsi, cela permettrait d’éviter de demander d’emblée un tel travail de rédaction et de prospective à tous les acteur.rice.s d’un secteur déjà surchargé.
Pour guider cette proposition, nous suggérons de s’inspirer de l’AAP “Accessibilité de l’alimentation Good Food” de Bruxelles Environnement, dont la note d’intention consiste en un document de 4 pages, et le dossier de candidature fait 8 pages. L’annexe “Budget prévisionnel” va elle aussi à l’essentiel.
- La co-construction de la rédaction de l’appel à projet avec d’ancien.ne.s agriculteur.rice.s, afin d’adapter les questions au secteur, et d’identifier celles qui sont les plus déterminantes pour le choix des lauréats
Pour conclure, la FedeAU salue l’initiative régionale consistant à remplacer l’appel à projet par une ordonnance régissant le financement de la production alimentaire à Bruxelles. En effet, le principe même de l’AAP annuel n’est pas adapté pour soutenir le secteur de manière structurelle et mettre en place des stratégies cohérentes sur plusieurs années au sein de projets agricoles. Un soutien structurel et systématique du secteur de la production alimentaire durable, s’il est adapté aux besoins du terrain, va permettre de réduire la charge administrative des porteurs de projets, de les aider à sortir d’une précarité économique, et de se concentrer davantage sur les besoins de leurs travailleurs et publics cibles.